Le sommet de Rio, une chance pour les énergies renouvelables ?

juin 2012
par Pierre Radanne et Emmanuel Guérin

Fin juin 2012 se tiendra à Rio le prochain Sommet de la Terre, rendez-vous planétaire décennal du développement durable. En décembre 2011, s’est tenue à Durban, en Afrique du Sud, la conférence annuelle des Etats signataires de la convention de l’ONU sur les changements climatiques, conclue au Sommet de la Terre de 1992. Pierre Radanne, Président du cabinet Futur Facteur 4, et Emmanuel Guérin, Directeur de programme à l’IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales), reviennent sur cet événement et nous disent si les énergies renouvelables peuvent en sortir gagnantes.

1. Quel bilan pouvons-nous dresser de la conférence de Durban sur le climat de décembre dernier ?

Emmanuel Guérin – Tout d’abord, les Etats ont collectivement décidé d’élaborer, d’ici 2015, un accord juridiquement contraignant qui entrerait en vigueur en 2020 et dont l’objectif serait de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le succès diplomatique ne réside cependant pas dans ce résultat, mais dans le processus par lequel les Etats sont parvenus à ce résultat. L’Europe a passé des alliances avec les petits Etats insulaires et les pays africains, contre l’Inde : c’est un scénario inédit ! On savait que cette réunion n’allait pas produire de résultat fort à court terme, mais les pays ont besoin de ces rencontres pour créer une émulation internationale et partager le sentiment qu’ils vont dans une direction commune.

Pierre Radanne – C’est effectivement le nouveau jeu d’acteurs qui a stupéfait tout le monde. A Kyoto, en 1997, on avait connu une première surprise : l’entente des Américains avec les Russes, pour former le bloc des pays « vides », par opposition aux pays « pleins » (à forte densité de population, dont la nature est domestiquée, dépourvus de ressources fossiles, etc.) Dans ces pays pleins, l’Union européenne et le Japon avaient fait preuve de zèle pour maîtriser leurs émissions de gaz à effet de serre (l’objectif était de – 5,2 % en moyenne sur 2008-2012 par rapport à 1990). Les pays vides, eux, n’ont jamais connu de limites dans leur développement et s’étaient d’emblée mis dans une situation de refus de toute obligation climatique. La grande nouveauté de Durban est que certains pays en développement ont pris conscience que leur développement devra être sobre en carbone. Et dans ce combat, ils se sont rangés aux côtés de l’Europe. Durban a permis la constitution d’un axe Union européenne – pays en développement, qui fait voler en éclats la représentation du monde datant de Kyoto qui opposait les pays riches aux pays dits « non-annexe 1 », dépourvus d’engagements. Le prochain accord devra inclure tous les pays de la planète et répartir l’effort à fournir de façon équitable en fonction de la situation de chaque pays.

2. Que va-t-il se passer après le 31 décembre 2012, à l’expiration du protocole de Kyoto ?

Pierre Radanne – Rien, le protocole va se refermer sans que l’objectif de 5,2 % ait été atteint. En attendant le prochain accord, il va falloir surveiller la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre : plus elles déraperont sous prétexte qu’on est sorti de la période couverte par le Protocole de Kyoto, plus l’accord à discuter en 2015 partira de haut et sera difficile à conclure.

Emmanuel Guérin – La fin de la période couverte par le Protocole de Kyoto en ouvre une autre avec un état d’esprit différent : la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre n’est plus vue comme une injonction de la communauté scientifique qui crie à l’emballement du climat, mais comme un objectif politique de la communauté internationale. Les Etats se sont approprié l’objectif de limiter la hausse moyenne des températures à 2°C d’ici 2100.

3. Pourtant, aujourd’hui, on s’achemine plutôt vers une hausse bien supérieure …

Pierre Radanne – Oui et les impacts pourraient être dramatiques. Il faut bien prendre conscience que seuls six petits degrés nous séparent de l’ère glaciaire. Dans l’Histoire, six degrés de moins, c’est un kilomètre de glace sur les îles britanniques, la banquise au nord d’une ligne Londres-Amsterdam-Munich, l’océan à 120 mètres plus bas que son niveau actuel, la toundra à Paris avec de jolis mammouths laineux. Si on laisse filer l’augmentation des températures au-dessus de 2°C, il se produira un changement de climat équivalant à la sortie de l’ère glaciaire, mais à un rythme cinquante fois plus rapide.

Emmanuel Guérin - En 2015, à l’élaboration de l’accord post-Kyoto, il sera trop tard pour infléchir les émissions à partir de 2020. La question est de savoir comment faire pour rester quand même dans la course et accompagner les efforts des différents pays pour parvenir à 20 milliards de tonnes en 2050. Les pays émergents ont commencé leur travail. La Chine, par exemple, a mis en place des marchés de quotas de CO2 dans six villes, en attendant un marché national en 2015.

4. L’actualité énergétique a été particulièrement intense en 2011 : catastrophe nucléaire de Fukushima, essor des gaz de schiste, ... Cela peut-il favoriser le développement des énergies renouvelables ?

Pierre Radanne – On a aujourd’hui une vision plus claire des ressources mondiales : nous n’avons pas épuisé les combustibles fossiles, mais ceux qui restent à extraire (gaz de schiste, sables bitumineux, arctique, offshore profond) le sont dans des conditions difficiles et avec des bilans environnementaux plus complexes. Ces énergies seront chères avant d’être rares. En parallèle, une vérité apparaît : le nucléaire n’est pas sûr. Sur quatre grands pays atomiques, trois ont connu un accident : Etats-Unis, ex-URSS, Japon. Dans ce paysage, émerge une vision du monde selon laquelle il faudra faire vivre dix milliards d’habitants coincés sur une planète avec des ressources finies. La seule solution consiste à vivre des énergies de flux, et non des énergies de stock.

Emmanuel Guérin – La catastrophe de Fukushima a eu un impact colossal sur les pays engagés dans l’énergie nucléaire. Elle a complètement changé la façon d’appréhender la sûreté : celle-ci n’est plus vue comme une affaire interne aux centrales, mais comme une question qui engage la société tout entière. Elle a débouché sur des décisions comme celle qu’a prise l’Allemagne (sortir du nucléaire, ndlr) et sur des débats comme tels que la place de l’atome en France.
Quant aux hydrocarbures non conventionnels, il y a bien eu un appel d’air massif en faveur de nouvelles ressources fossiles, parti des Etats-Unis. Ce qui est à la fois séduisant et dangereux dans les gaz de schiste, c’est qu’ils sont beaucoup mieux répartis sur la planète que le gaz conventionnel. Mais c’est sans compter leur lourd impact sur l’environnement …

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Rédacteurs

  • Benoît Buffard

    Ingénieur vent chez FUTUREN France depuis octobre 2011. Diplômé de l'ENSAI (École Nationale de la Statistique et de l'Analyse de l'Information) et titulaire d'un Mastère spécialisé « Énergies renouvelables et leurs systèmes de production » dispensé par l'ENSAM (École Nationale Supérieure des Arts et Métiers).

  • Baptiste Ruille

    Ingénieur vent. Diplômé d'un Master Génie de l'Environnement avec spécialisation en météorologie.

  • Pierre Radanne et Emmanuel Guérin

    Pierre Radanne est un expert des questions énergétiques et écologiques, spécialiste des politiques énergétiques de lutte face au changement climatique.  Emmanuel Guérin est Directeur de programme à l'IDDRI (Institut du Développement Durable et des Relations Internationales).

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